mardi 10 juillet 2012

Chap. 11 : Eh, Néné, vise un peu la Credoïnunumdeum ! Ça s’arrête pas là...



Je venais de m’enfiler une sacrée dose de paella que le charcutier du coin préparait comme s’il était né à Valencia et j’avais baigné le tout d’un rosé au poil ! Je me disais qu’une petite siesta ne me ferait pas de mal et que je resterais comme ça dans les saveurs de mon déjeuner. J’ai mis Carmen, Bizet, L’amour est enfant de bohème et toutes les conneries que racontent les opéras (c’est pour ça, en fin de compte, que je préfère quand c’est en russe ou en allemand, je pige rien !) ! C’est la sonnerie de la porte d’entrée qui m’a réveillé. Et merde ! Merde, merde et merde ! Credoïnunumdeum ! Je devais avoir une de ces gueules quand j’ai ouvert, parce qu’elle m’a dit : Excusez-moi, je suis bien chez monsieur Charles Monluc ? Ben oui qu’elle y était, mais lui, il était encore dans sa siesta ! Bon, première impression : une petite cinquantaine pincée du cul ; deuxième impression : le compte en banque de son masseur, de son chirurgien, de son esthéticien, de son coiffeur, de son manucure devait être en forme ; troisième impression : une vraie copine de Belami, épouse.


- C’est moi qui vous demande de m’excuser. Je m’étais légèrement assoupi.
- Je peux revenir un autre jour si ça vous arrange !
- Non, non, je vous assure, donnez-moi cinq minutes et je suis à vous. Je vous en prie, entrez, prenez place, faites comme chez vous !

C’était avec cette isalope-céphalo-frigide de María Asunción que je m’étais mis à développer ce tic verbal à faire dégueuler. Je m’entendais plus parler que je ne parlais vraiment, comme si je jouais un rôle, un personnage dont j’aurais appris par cœur les répliques. Ça me faisait plutôt rigoler, au fond ! Charles le Caméléon, celui qui parle comme un couillon ! Cinq minutes et je suis à vous ! Y en avait de l’abnégation, là-dedans ! Et puis le faites comme chez vous ! Je supposais quand même qu’elle allait pas se mettre en nuisette, avec bigoudis et masque de beauté ! C’était de toute façon pas l’heure ! J’imaginais celui qui prendrait ça au pied de la lettre ! Je suis allé me foutre un peu d’eau sur la gueule, j’ai pissé, me suis recoiffé, j’ai rentré ma chemise dans le pantalon et ai lacé mes chaussures, j’étais déjà un peu plus présentable. Credoïnunumdeum s’était assise sur le bord d’un fauteuil, les jambes serrées, légèrement de biais. Y a pas à dire, l’éducation, ça vous donne une de ces classes ! Y avait aucune raison pour que je ne sois pas aimable, fallait la mettre le plus à l’aise possible, c’est tout.

- Détendez-vous, chère Madame, nous sommes entre amis, non ?
- Guillemette, monsieur Monluc, s’il vous plaît !
- D’accord, mais alors moi c’est Charles, ça va ? Qu’est-ce que je peux vous offrir ?
- Rien, ne vous dérangez pas pour moi, rien, je vous assure !
- Mais si, j’insiste. J’ai bien un peu de thé, mais ça fait tellement longtemps que personne ne m’en demande que j’ai bien l’impression qu’il doit être éventé (elle en avait certainement rien à foutre, et moi non plus d’ailleurs, mais c’était histoire de la détendre, la Credoïnunumdeum !), par contre, je peux vous proposer un subtil vin rosé qui a accompagné avec grâce mon déjeuner.
- Si vous insistez !

Elle a trempé ses lèvres avec délicatesse dans le rosé qui était, c’est vrai, pas trop mal. Ses lèvres étaient maquillées avec soin, un rose pâle discret, impeccablement appliqué, des lèvres assez fines et presque sensuelles. Mais ses lèvres n’étaient pas des lèvres à queues, pas du tout ! Enfin, bon, toutes les lèvres sont des lèvres à queues, en puissance, mais certaines plus que d’autres, peut-être que celles-là étaient seulement des lèvres à glands ! Ah Héloïse ! que je pensais.

- Alors, qu’attendez-vous de moi ?
- Vous savez que c’est très embarrassant de me retrouver ici, en ce moment, face à vous...
- Voyons, cher madame Credo... pardon, chère Guillemette, imaginez que je suis comme un médecin, pas un médecin du corps ni un médecin de l’âme, un médecin des mots (ma connerie me faisait presque peur !), n’ayez crainte, ouvrez-vous à moi (une connerie sans bornes !) !
- Vous savez, je suis une femme honnête, une femme mariée, et je croyais être une femme fidèle (ouais, on croit souvent ça !), jusqu’au jour où, je ne sais pas comment cela a pu arriver, comment tout cela a commencé, mais... Ah, je ne sais pas si je vais pouvoir continuer, je me sens tellement gênée !
- Reprenez un peu de vin, ça va vous aider.
- Une sorte de moment de folie, une véritable absence de raison, comme une absence à moi-même ! Il était séduisant, aimable, cultivé. Il y avait dans ses yeux un brillant particulier. Il me regardait avec une telle intensité ! Nous étions dans une soirée organisée par le Pen Club, je m’en souviens très bien, il y avait un monde !, mon mari était en train de parler affaires avec plusieurs de ses associés, je m’ennuyais, et il y avait cet homme qui me regardait comme personne ne m’avait regardée auparavant. J’ai soudain senti qu’il me désirait, comme s’il y avait quelque chose d’animal en lui, une force, vous comprenez !, une force, une injonction de la nature, une puissance de l’instinct animal que nous gardons en nous mais que nous faisons taire le plus souvent, un animal, vous comprenez ?, je sentais qu’un animal en rut me désirait (eh, Credoïnunumdeum, je t’ai seulement demandé de me dire ce que tu voulais que j’y mette dans ta putain de lettre ! Elle avait l’air d’aimer ça, l’isalope, elle y mettait le ton !), non, plus exactement, qu’un animal en rut allait me sauter dessus, me prendre devant toute l’assemblée. J’étais comme hypnotisée par son regard qui plongeait dans le mien. Il est venu vers moi, il ne disait rien, il a saisi la main, m’a emmenée dans le parc et derrière un buisson. Il m’a prise, comme un animal, il soufflait, il me faisait l’amour avec une violence incroyable (y te tringlait comme une bête, ouais !), par terre, à même le sol, j’ai éprouvé un plaisir comme jamais je n’en avais ressenti dans ma vie ! Nous nous sommes rhabillés, nous avons rejoint les autres, mon mari ne s’était même pas aperçu de mon absence, il m’a donné sa carte de visite. C’était plus fort que moi, je l’ai appelé, nous nous sommes revus. Il me donnait rendez-vous dans des hôtels de passe, dans des quartiers mal famés, il m’emmenait dans des bars de strip-tease, dans des bars à prostituées, et il me parlait de littérature, de peinture, et après, il me faisait l’amour avec la même violence que le premier jour, même dans sa voiture. Jamais il ne me dérangeait, jamais il n’appelait chez moi, la seule chose qu’il me disait était :  Si tu veux qu’on se revoie, c’est toi qui m’appelles ! et je l’appelais, je continue à l’appeler. Je crois que je suis perdue. Ouf, je l’ai dit ! Comment ai-je pu oser vous raconter tout ça ?
- Alors, qu’attendez-vous de moi ? que je lui ai dit, parce que, même si elle racontait pas mal ses parties de queue, j’allais pas passer la nuit à l’écouter !
- Je dois rompre, Charles, je suis en train de me perdre, il faut impérativement que je rompe cette relation qui ne fait que troubler ma vie, et puis mon mari ne mérite pas ça, vraiment pas ! (Son mari ? Et qu’est-ce que tu en sais, de ton mari, hein ? Je commençais à me demander si c’était une lettre de rupture qu’elle attendait que je lui ponde, la Credoïnunumdeum de mes deux !)
- Vous voulez rompre ?
- Il le faut !
- Vous en êtes persuadée ?
- Je vous jure que... (eh, mollo, je suis pas ton confesseur !)
- Oui ?
- Que mon repentir est grand !
- Aussi grand que votre plaisir ?
- Charles, que dites-vous ?
- Je crois que vous venez de trouver un équilibre.
- Mais que voulez-vous dire ?
- Un équilibre entre le corps et l’esprit.
- Et quelle classe de femme croyez-vous que je suis ?
- Une femme avec de la classe justement, une femme sensuelle qui vient de découvrir que la vie pouvait être autre chose que la longue sieste proposée par le mariage !
- Mais que dites-vous ? Vous rendez-vous bien compte que vous êtes en train de remettre en cause ce qui fait le ciment de notre société ?
- Ce qui vous torture, ce n’est pas l’aventure magnifique que vous êtes en train de vivre, c’est votre conscience, votre bonne conscience !
- Charles !
- Oui ?
- Mais j’aime mon mari !
- Je n’en doute pas un seul instant, mais vous venez de me le dire : J’ai éprouvé un plaisir comme jamais je n’en avais ressenti dans ma vie !, à vous de voir si l’intensité de ce plaisir vaut le trouble moral qu’il vous occasionne !
- Jamais je ne pourrais continuer à mentir à mon mari !
- Il sait quelque chose ?
- Non.
- Et croyez-vous qu’il se doute de quelque chose ?
- Pas plus. D’ailleurs, vous savez, avec ses affaires, il est souvent en voyage, il travaille tant, je sais qu’il ne mérite pas ce que je suis en train de lui faire !
- Quand vous voyez l’autre homme, pensez-vous à votre mari ou à vous-même ?
- Que voulez-vous dire ?
- Est-ce du plaisir pour vous ou de la peine pour lui ?
- Mais lui ne sait rien !
- C’est donc seulement du plaisir pour vous. Vous ne LUI faites rien, absolument rien !
- Mais je sais que je lui mens !
- Lui avez-vous dit une vérité qui soit fausse ?
- Grand Dieu, non ! Je ne lui ai jamais rien dit !
- Où est alors le mensonge ?
- Je ne sais.
- Aimez-vous l’autre homme ?
- Jamais de la vie ! J’aime et j’aimerais toujours mon mari !
- Vous voyez bien que les choses pourraient être d’une grande simplicité !
- Vous êtes le diable en personne !
- Vous me flattez ! Et alors, cette lettre !
- Je ne sais.
- Je suis bien entendu disposé à vous l’écrire, cette lettre, mais peut-être voulez-vous y penser un peu plus ?
- Oui, vous avez raison, j’ai besoin de réfléchir, de mettre tout cela en ordre dans mon esprit. (C’est pas d’esprit qu’il s’agit ici, isalope de Credoïnunumdeum !, mais de ton cul, de ton putain de cul qui a trouvé une queue qui te fait visiter le ciel et causer avec les anges !)
- Voulez-vous que je...
- Non, ne faites rien, je n’ai déjà que trop abusé de votre amabilité, et puis, il est tard, il faut que je m’en aille, mon mari rentre d’Afrique du Sud ce soir et je n’ai encore rien préparé ! (Peut-être que son mari va apprécier l’effet des petits à-côtés de son isalope ! que je me disais.)
- Alors...
- Comment vous remercier ?
- Ce n’est rien, vraiment, ce fut un plaisir ! Je reste à votre disposition, n’hésitez pas à m’appeler, ne serait-ce que pour me donner de vos nouvelles, ça me fera plaisir ! (Mouais, qu’elle aille se faire foutre, cette isalope de Guillemette Credoïnunumdeum ! que je pensais.)
-Vous êtes un ami précieux, cher Charles, j’envie María Asunción de pouvoir compter sur une amitié comme la vôtre !
- Vous êtes trop aimable ! (Bon, elle se barre ou quoi !).
- Au revoir, et encore merci !
- De rien, vraiment. Au revoir.

Le lendemain Guillemette Credoïnunumdeum m’avait fait livrer une caisse de rosé et une caisse de Champagne, y avait pas à dire, l’éducation, ça vous donne une de ces classes ! Sacrés culs-bénits ! que je me disais, quand on tâte du diable, y a pas à dire, les anges ont une autre gueule ! Bon. Il me restait à regarder le bouquin de Francine Lebodic, À toute épreuve (putain, ces noms, les cons !), ça occuperait ma soirée.

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