mardi 26 juin 2012

Chap. 9 : Hrosvitha monte son cirque, et merde !




Il me restait encore deux heures avant de partir chez Hrosvitha, de quoi me remettre un moment au boulot. Assis à mon bureau, j’arrivais cependant pas trop à reprendre le fil de mes idées. C’était toujours la même chose, à chaque fois que je faisais tourner ces histoires à la con d’éternité, de justification de l’existence dans ma caboche, j’avais la désagréable impression de perdre mon temps à écrire des articles de merde pour une revue de merde. C’était vrai, la revue TéléPlus était une revue de merde et mes articles étaient des articles de merde ! Mais depuis sept ans que j’y travaillais, j’avais trouvé une certaine stabilité dont j’avais toujours pensé n’avoir rien à foutre. Voilà, je dormais depuis sept ans et je comptais sans doute sur n’importe quelle isalope pour me réveiller ! Et l’autre connasse, sublime, au demeurant, sublime, et un corps, et un cul, et des nichons !, bon, l’autre connasse avec ses Monluc ! Charles Monluc ! Tu connais Charles Monluc !  Je me sentais un peu pathétique quand je me disais que c’étais mon boulot, que je faisais ce qu’on me demandait, un point c’était tout ! Bien sûr que j’aurais aimé me sentir génial, admiré, mais pour réussir à ça, faut des couilles, et les miennes étaient le plus souvent occupées à cogner contre des culs. J’étais un connard parmi d’autres, un peu plus conscient de sa misère, un point c’est tout ! Ça me déprimait de penser ces conneries ! J’espérais seulement que Hrosvitha ne m’emmerderait pas trop ce soir ! Allez, changeons-nous un peu les idées ! J’ai ouvert le troisième bouquin, celui de Bérengère Amerre, Spécialité : pipes ! 


J’en ai avalé du foutre au début ! Quand les capotes sont arrivées, fallait se farcir le latex lubrifié qui, même à l’orange ou à la cannelle, me faisait toujours dégueuler après ! Moi, ma spécialité, c’est les pipes. Voilà comment tout a commencé.
Fille de bonne famille, d’une famille pieuse mais sans bigoterie, fille de la bourgeoisie aisée d’une ville moyenne de province, mon avenir était presque entièrement tracé. À vingt, j’étais en deuxième année d’école de commerce, option marketing. J’allais faire des stages dans l’entreprise de mon père, une fabrique de glaces qui employait cent cinquante personnes. Il me disait qu’un jour l’entreprise serait à moi. Tout ça me paraissait aller de soi ! À vingt ans j’étudiais, à vingt ans j’étais étudiante et toujours vierge !

Une fabrique de glaces pour les débuts d’une suceuse professionnelle ! Y manquaient vraiment d’imagination, ces nègres ignares ! Bon, continuons !

Ma vie changea lorsque je rencontrai Jean-Baptiste lors d’une soirée organisée par ma meilleure amie, Séverine, qui faisait les mêmes études que moi. Séverine était la personne pour laquelle j’avais le plus d’admiration, et peut-être aussi que j’enviais le plus. Elle était gaie, toujours de bonne humeur et il y avait aussi toujours des garçons autour d’elle, pour lui porter ses livres, la raccompagner chez elle... Elle me disait : « Allez, Bérengère, tu ne peux pas rester sans cesse comme ça, on dirait que tu es triste ! Si tu continues comme ça, tu n’auras jamais de petit ami ! ». C’est vrai que j’étais un peu triste et que je ne sortais jamais. Séverine avait beau me  pousser, je restais chez moi... à me morfondre. Mes parents ne m’auraient certainement rien dit s’ils avaient vu que je sortais un peu, je travaillais bien, réussissais mes examens, j’étais sérieuse. Peut-être était-ce ça mon problème : le sérieux ! 

Putain de merde ! J’étais sur le point de m’endormir ! Comment était-il possible de publier des choses aussi chiantes ? Le début du bouquin ressemblait à une mise à l’épreuve du lecteur : s’il passait ce stade, c’était gagné, mais il en fallait une volonté ! Je décidai de passer quelques pages, histoire de voir si ça s’améliorait un peu : Il m’a tout appris, entre ses mains j’étais comme de la pâte à modeler qu’il façonnait à sa guise. Un soir, il m’a dit qu’il allait me montrer des choses nouvelles. Il a mis sa bouche sur mon sexe. C’était assez agréable. Ensuite, il m’a expliqué comment faire la même chose avec le sien... Putain ! De la pâte à modeler qu’il façonnait à sa guise !, voilà qui allait révolutionner le monde des Lettres... Et puis, là, quand même, non !, comment faire la même chose avec le sien, la même chose ? Comme si coquillages et glaces étaient de la même espèce ! D’ailleurs, je me doutais que les glaces n’allaient pas tarder à faire leur entrée en scène ! Ça a pas manqué, page huit : À chaque fois que je voyais mon père, je pensais aux glaces qu’il fabriquait et à chaque fois que je pensais aux glaces, je pensais au sexe de Jean-Baptiste ! Elle est amoureuse de lui, elle pense plus qu’à la lui sucer, lui, c’est une canaille, il se dit qu’il pourrait vivre peinard en la faisant bosser, il lui fait sa pub, et elle se retrouve parachutée pute, spécialité : pipes. Pour gonfler le volume, la vie d’une suceuse professionnelle, les clients, les maladies, un peu de violence, la famille qui ne sait rien puis qui apprend tout, le repentir, et tralala et tralala. Quinze euros, cinq en version poche. Rien à tirer d’intéressant de cette Bérengère qui n’existe sans doute que dans l’imagination d’un enfoiré de cul terreux ! Et merde ! Deux heures à la baille ! Et maintenant, qu’est-ce qui m’attendait avec Hrosvitha ? Deux minutes trente après avoir refermé la porte de chez moi, je sonnais à la sienne. Il était huit heures tapantes.

- Charles, pourquoi tu me fais toujours ça ?
- Mais qu’est-ce que j’ai bien pu te faire ?
- Voyons, on avait rendez-vous à dix-neuf heures trente, non ?
- Et pour une demi-heure, tu me fais cette tronche-là ?
- Je croyais... j’avais compris que...
- Tu as quelque chose à boire ?
- C’est ta petite salope, c’est ça !
- Isalope, s’il te plaît, je te l’ai déjà dit, ensuite, si tu commences comme ça, ton théâtre, tu peux te le mettre où je pense !
- Les femmes sont vraiment connes de s’amouracher de salauds !
- Mais toutes les femmes sont connes, et tous les hommes sont des salauds, tu savais pas ?
- Je croyais que tu m’aimais un peu !
- Mais bien sûr que je t’aime, d’ailleurs, je suis là, non ?
- Oh, oui, c’est facile à dire, tout est simple avec toi.
- Tu crois qu’on va pouvoir passer une soirée tranquille et agréable, ou est-ce que tu as l’intention de me tirer la gueule pendant tout le temps qu’on sera ensemble ?
- C’est bon, tu gagnes, une fois de plus !
- Mais, j’en ai rien à foutre de gagner ou de perdre, je te demande simplement de te comporter comme une personne normale et de laisser un peu tomber tes histoires (à vrai dire, j’en savais trop rien de ce que c’était qu’un personne « normale » !).
- Mes histoires, mais quelles histoires ? Tu crois que c’est simple d’aimer quelqu’un qui se fiche de toi ? Tu crois que ça peut remplir de joie de voir celui qu’on aime se détruire comme tu le fais, s’étourdir dans les bras de gamines ignares et laisser le temps passer, tout laisser passer, crever et faire crever autour de soi !
- Tu veux baiser, c’est ça ? Calme-toi, on va au théâtre et après, on verra, d’ac’ ?
- Ah, Charles !

J’avais besoin d’un remontant. J’en ai pris une triple dose. Après, ça allait un peu mieux, un peu. Hrosvitha avait ses phases lunaires, ou solaires d’ailleurs, ou ce qu’on voulait, mais elle avait ses phases, et elle se trouvait dans l’une d’entre elles. J’aurais dû être habitué, ça revenait à chaque fois qu’une nouvelle femme entrait dans ma vie, enfin, à chaque fois qu’elle savait, apprenait, se rendait compte qu’une nouvelle isalope avait, avec ma queue, des parties d’emboîtage. En fin de compte, je me demandais dans quelle mesure elle me préférait pas sombre, un peu déprimé, dans un de ces putain de moments où j’avais plus trop envie de grand chose ! Alors, sainte Hrosvitha volait à mon secours ! Mais dernièrement, c’était plutôt moi qui devait faire avec ses sautes d’humeur, et cette putain de jalousie qu’elle harmonisait avec une musique dont je connaissais chaque note ! Dans ses bons jours, Hrosvitha était une femme exceptionnelle, drôle, agréable, généreuse, profonde aussi, mais il suffisait que je fasse butter mes couilles contre le trou du cul d’une putain d’isalope pour que l’entente cordiale ait du plomb dans l’aile ! Alors, les scènes, les cris, les pleurs, les paroles définitives, les insultes, les injures, le chantage, les menaces et toutes ces merdes dont on se passerait sans aucune difficulté.

La pièce de théâtre était sans grand intérêt, acteurs médiocres, mise en scène quelconque, mais Hrosvitha était euphorique, peut-être qu’elle s’emmerdait autant que moi, au fond, mais elle avait l’air d’être contente qu’on soit ensemble. Tant mieux ! À la sortie, elle m’a pris par le bras, ne m’a posé aucune question sur ce que j’avais pensé de la pièce et m’a dit qu’elle m’emmenait prendre un verre. D’ac’. Elle riait, elle m’écoutait raconter des histoires sur Belami et sa frigide (sauf la partie de ramonage !), les dernières œuvres inoubliables que je me tapais pour mon article, elle posait sa main sur mes cuisses, tout baignait, c’était agréable. On a changé de troquet, on s’est assis à la terrasse, les petits nichons passaient sous mes yeux, les petits culs s’éloignaient, tout baignait. Je me sentais décontracté, j’avais bien une petite pensée, de temps à autres, pour cette incroyable Héloïse, putain quel... !, putain quel bon dieu de châssis !, mais pour le reste, du vent. J’avais déjà levé le bras pour faire signe au serveur de nous remettre la même chose, lorsque Hrosvitha a commencé son cirque :

- Charles tu bois trop en ce moment, tu bois trop et tu fumes trop ! Ça va affecter tes performances sexuelles !
- Je peux t’assurer que tout va bien !
- Tu devrais faire attention, t’es quand même plus de la première jeunesse !
- Je me sens en pleine forme, je pourrais même m’en farcir deux à la fois !
- Tu rêves !
- Pas tant que ça !
- Tu te souviens ?
- Ouais. C’est très améliorable !
- Et ta petite salope, tu crois qu’elle accepterait ?
- Sûr. D’ailleurs...
- D’ailleurs quoi ?
- Non, rien. Écoute, allez, on arrête là, d’accord ?
- Non, vas-y, dis-moi, raconte, allez, va !
- Mais y a rien a raconter !
- Cet après-midi, c’est ça, hein !, tu t’en es envoyé deux cet après-midi, c’est ça, hein !, et c’est pour ça que t’es pas venu plus tôt chez moi, hein !, c’est ça, dis, c’est ça ?
- Hrosvitha !
- Y a pas plus de Hrosvitha que de Cunégonde ou de beurre en branche ! T’es qu’un égoïste ! Et moi alors, je suis quoi ? Ce que je suis, je le sais, je suis la dernière des imbéciles ! Mais tout ça, ça va changer, faut que ça change !

J’étais en train de voir défiler, en deux minutes, l’histoire de ma vie. Ça manquait jamais, à chaque fois que je pouvais me dire que ça baignait, y avait un accroc, quelque chose qui venait foutre en l’air ce rare moment de calme, presque de bonheur. À chaque fois, ça manquait jamais ! Et merde ! Merde, merde et merde ! C’était reparti !

- Et alors, l’autre, c’était qui, hein !
- Tu te fais du mal inutilement.
- C’est à moi d’en juger ! Je t’ai posé une question !
- Qui te dis qu’elles étaient deux, pourquoi pas trois ou quatre, hein ?
- T’es qu’un vieux dégueulasse !
- Tu m’emmerdes !
- Oui, c’est ça, défile-toi !
- Mais qu’est-ce que ça peut bien te foutre ?
- T’as raison, bien sûr, t’as toujours raison, hein ! Qu’est-ce que ça peut bien me foutre ! On est bien et faut que tu la ramènes ! Monsieur le séducteur, le parfait amant, l’incontournable baiseur !
- Tu m’emmerdes vraiment ! Je me demande même si ça serait pas un bon moment pour en rester là, définitivement, t’es vraiment trop conne quand tu t’y mets !
- Salaud !

Y avait une chose dont Hrosvitha avait une trouille dingue, c’était la solitude. Et même si elle me traitait de temps en temps de salaud, j’étais là, présent, à ma manière, mais là. On se téléphonait souvent, on se voyait, on s’engueulait, on baisait un peu, ça faisait de l’animation. Je savais très bien que ce genre de menace la faisait entrer dans une putain d’angoisse ! Je sais, c’était un peu dégueulasse de ma part, mais y avait des fois où elle me tapait tellement sur les nerfs que je préférais lui envoyer valser ça en plein dans la gueule plutôt que de supporter ses jérémiades. Généralement, ça la calmait, et moi aussi.

- Pourquoi t’es comme ça avec moi, Charles, pourquoi ?
- Tu m’emmerdes trop !
- Alors, c’est vrai, tu veux plus qu’on se voie ?
- Quand t’es comme ça, non !
- On pourrait être tellement bien tous les deux !
- Sûr. Tu ferais la bouffe, j’irais promener le chien !
- T’as pas de chien !
- J’en achèterais un !
- Je te sucerais à chaque fois que t’en aurais envie, je...
- Arrête, tu vas me faire bander !
- Tu pourrais me demander n’importe quoi, avec deux, avec trois, avec dix, si tu le voulais !

Dans le rôle de l’épouse soumise, elle était beaucoup moins bonne que dans celui de l’amante éconduite... Elle arrivait pas à se mettre dans sa putain de cervelle que je voulais vivre avec personne, j’avais d’ailleurs déjà donné pendant quinze ans, je pensais que mon offrande aux dieux de la stabilité du couple avait été largement suffisante, putain de merde !, quinze ans !

- Ah, si tu voulais !
- Ah, si t’étais moins conne !
- Tu viens dormir chez moi ?
- Si tu veux.

La nuit avec Hrosvitha n’avait pas été des plus glorieuses. J’avais pas trop envie et j’étais fatigué, faut dire qu’après la brochette de l’après-midi y avait de quoi ! Hrosvitha avait pas eu l’air de m’en vouloir de trop, mais je savais qu’elle pensait avoir raison, surtout en ce qui concernait mon âge et le reste. Au matin, comme si de rien n’était, on s’embrasse, on se revoit bientôt, on se téléphone, d’ac’. J’avais envie de me reposer un peu, d’écouter de la musique, d’aller faire un tour, seul, pas vraiment pour me mettre à gamberger, plutôt pour me refaire une petite santé. Je crois avoir dormi aussi pas mal.

Hildegarde m’a téléphoné le lendemain, apparemment un peu gênée, elle n’osait pas aborder ce qui la tarabiscotait, alors elle m’a demandé si j’allais bien, si mon article avançait, un peu de tout sauf de ce dont je sentais bien qu’elle voulais me parler. Au bout d’un moment, elle m’a quand même dit : Tu sais, chéri, j’ai vraiment aimé ça, l’autre jour, avec Héloïse, je ne sais pas si c’est bien de te l’avouer, mais ça a été pour moi une expérience incroyable, inoubliable, et tout ça, grâce à toi ! Tu es une présence un peu folle dans ma vie, je sais, la différence d’âge, tout ça, mais je t’assure que je suis très heureuse de t’avoir rencontré ! Tu sais, Héloïse n’arrête pas de me parler de toi, et Charles par ci et Charles par là ! C’est vrai que tu es quelqu’un avec qui on se sent bien, avec qui on sait qu’il n’y aura pas de problème. Tu ne t’imposes pas, tu ne demandes rien, tu es patient, respectueux aussi, avec toi les choses sont simples, claires, c’est peut-être ça qui fait ton charme ! Mon charme ? Bon, passons ! Mais elle était quand même pas mal cette petite isalope d’Hildegarde ! Quant à Héloïse, y avait pas à dire, fallait que je la revoie !

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