mardi 12 juin 2012

Chap. 7 : La chair est faible, mais qu’est-ce que c’est bath !



Bon, et j’allais où ? Ah, oui, à la bibliothèque. J’ai pas mis cinq minutes pour trouver mon bonheur, cinq étagères remplies de bouquins sous la rubrique Récits de vie. Tout le monde se raconte, maintenant, avec une tendance retour à la terre, la paysanne qui a vu passer les deux guerres mondiales, la bergère, la rempailleuse, le cordelier, le forgeron, et un etc. à n’en plus finir. Moi, je cherchais les bouquins des putes. Voilà, troisième rangée. Bon, au milieu, les transsexuels, non, pas aujourd’hui. J’ai sorti quatre bouquins, on verrait. J’avais plus envie de jouer au petit reporter, pour plus tard. De retour chez moi, je me suis mis à feuilleter : Irénée Jackühl, Mon maquereau et moi, ça baigne ! ; Augustine Sanvi, Pute, putain, puton. ; Berengère Amerre, Spécialité : pipes ! ; Francine Lebodic, À toute épreuve. Je me demandais qui leur trouvait ces pseudonymes ridicules, et ces titres ! C’était ça, accrocher le lecteur ? Bon, on va pas se laisser démonter par si peu ! Le premier, d’Irénée Jackühl, je commence à lire :

Puisqu’une petite erreur dans le principe finit par être grande à la fin, d’après le Philosophe dans le livre I du <traité> Du ciel et du monde, et que l’étant et l’essence sont ce que l’intellect conçoit en premier, comme le dit...



À mourir de rire... Qu’est-ce que  c’était que ce bordel ! Ça ? De l’Irénée Jackühl ? Ça me disait vaguement quelque chose cette erreur dans le principe, et puis l’étant et l’essence, aussi. Médiéval ? Mais oui, j’avais déjà lu ça, d’abord en cours de philo, au lycée, et puis je l’avais relu pour un article que j’avais écrit sur Philosophie et homosexualité, il y avait trois ou quatre ans, un article pas mal, d’ailleurs, avec les félicitations de Belami ! Mais bien sûr, Saint Thomas d’Aquin, son traité L’Étant et l’Essence, le début, le prologue. Assez éloigné de Mon maquereau et moi, ça baigne ! Mais quelle était la couille molle qui avait bien pu avoir l’idée de... Au suivant, Augustine Sanvi, Sans vie ? Cent vits ? Les cons !

Je suis née dans une petite ville du nord de la France baignée continuellement par la grisaille du ciel, dans une de ces cités minières où règnent la misère et la désolation. Ma mère est morte quand j’avais deux ans. Dernière d’une série de treize enfants, j’avais un caractère malgré tout enjoué. Mon père me disait : « Tu es la lumière de mes yeux ! ». J’avais treize ans quand il m’a prostituée pour la première fois. J’étais encore très jeune, mais je sentais bien que mon devoir était de l’aider, d’aider toute ma famille, comme je le pouvais.  Quand il m’a dit que j’allais devoir être « très gentille avec un sympathique monsieur », je crois que je savais ce qu’il voulait dire. J’ai dit oui, pour lui, pour eux, j’ai dit oui.

Cent vits ? Sans famille, oui ! Pas grave, je garde ça, amour et abnégation, parfait en somme, de quoi faire pleurer ce putain de lectorat. La misère et la désolation, en plein dans le mille, c’est de ça dont ils se léchaient les babines ces impotents qui jouissaient devant les grands branlements de l’encensoir, et si à ça, j’ajoute : Dans un amour éternel, j’ai eu pitié de toi, dit Yahvé, ton rédempteur (Is, 54, 8), au poil ! Ça roule ! que je me disais, et je m’apprêtais à continuer quand l’immanquable téléphone, auquel j’allais pas tarder à couper les couilles, vint foutre en l’air mon bel élan.

- Je t’aime, tu me manques !
- Hildegarde ?
- Salut, chéri.
- Ça va ?
- Dis, c’est quand que tu la bouffes ma petite chatte ?
- Quoi ? T’es sûr que tu vas bien ?
- Tu me manques, tu sais ?
- Chouette !

Qu’est-ce qui lui arrivait ? Un petit spleen érotico-masturbatoire ? Peut-être qu’elle pensait que ça allait m’exciter ou tout simplement était-elle en train de se mettre au diapason ? Viens faire un tour chez moi, ma petite isalope, que je pensais, on va refaire le dictionnaire !

- Ça te plaît quand je te parle comme ça ?
- Pourquoi ? Ça devrait ?
- Sais pas, peut-être un peu.
- Te casse pas la tête avec ces trucs-là, tu as déjà tout ce qui me plaît !
- Et pour ma copine Héloïse, tu sais, elle insiste pour te rencontrer !
- Qui ?
- Héloïse, tu sais, le chocolat !
- Ah oui, Laurent-testicules !
- Si tu veux.
- Je croyais que tu voulais pas trop ?
- Allez, arrête, elle insiste, sois sympa !
- D’ac’.
- T’es mignon, quand tu veux, tu vois !
- Mignon ?
- Ben oui, mignon, trognon, à croquer, mimi quoi !
- Mouais.
- Alors, d’accord ?
- Mais oui !
- On te prépare le déjeuner, si tu veux, on apporte tout ce qu’il faut, d’accord ?
- Ça baigne !
- Salut, trognon ?
- Salut, isal...
- Quoi ?
- Rien, salut !

Je raccroche, pas une minute était passée qu’il se remet à sonner, l’enfant de salaud !

- Montluc ? C’est Belami. Dis donc, pour ton article C’est quoi l’amour ?, je viens d’en parler avec ma femme, oublie pas la Bible, quand même, je suis sûr que le parallèle entre le péché et la rédemption plaira.
- Bien sûr, bien sûr.
- Ma femme y tient, hein, tu vois ce que je veux dire ?
- Je crois que oui, mais ça serait peut-être mieux si j’en parlais directement avec elle, non ?
- Tu fais comme tu veux.
- Je crois que c’est possible.
- Quoi ?
- Que ce soit possible ! Rien. T’inquiète pas, ta femme sera contente de moi !
- Je n’en doute pas. Tu sais, elle me dit beaucoup de bien de toi !
- Trop aimable ! Et ses maux de tête ?
- En dents de scie, Charles, en dents de scie.
- J’ai un pote toubib qui pourrait peut-être l’aider, je lui en parlerai.
- Tu sais, on a vu les meilleurs spécialistes, rien à faire !
- Peut-être que ta femme a besoin d’un autre type de spécialiste !
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- C’est une idée, comme ça, je veux rien dire de très précis, c’était juste comme ça.
- Bon, pour le reste, on est d’accord, n’est-ce pas ?
- Tu peux compter sur moi.
- Merci, allez, au revoir, et pas de retard, hein !
- Salut, Belami.

Un spécialiste ! Tu parles ! Un bon ramoneur, oui, c’est de ça dont elle avait besoin sa frigide céphalo-machin ! Bon, Dieu et ses œuvres, où j’en étais déjà ? Ah, oui ! Berengère Amerre, Spécialité : pipes ! Voyons voir... Et merde ! Et merde, et merde, et merde ! Je jure devant Dieu, devant toutes les putes sanctifiées et ces enculés d’auréolés que je vais lui couper les couilles à ce téléphone ! Eh dire que Hrosvitha voulait m’offrir un portable ! Non ! Non ! Non ! Je suis déjà bien assez emmerdé avec celui-là ! Allez, qui c’est qui vient me faire chier maintenant ?

- Monsieur Monluc ?
- Lui-même.
- Madame Belami.
- Charles, voyons, Charles, chère Madame ! Et que puis-je pour vous ?
- Écoutez Charles, euh... ce que j’ai à vous demander est un peu embarrassant, euh...
- Voyons ! Entre nous ! Vous savez que vous pouvez compter sur moi !
- Oh, j’ose à peine !
- Osez, osez, je vous assure !
- Eh bien voilà, c’est pour... ah, c’est quand même très embarrassant !
- Comme lorsqu’on s’adresse à Dieu, le chemin le plus court et direct est celui de la vérité.
- Charles, comme vous savez trouver les mots !
- Je suis tout ouïe.
- Eh bien voilà ! J’ai une amie, une excellente amie, pensez donc, cela fait plus de vingt ans que nous nous fréquentons !, c’est une femme exquise, raffinée, qui, par je ne sais quel égarement, mais, vous savez, nous autres mortels, sommes à ce point imparfaits qu’il nous arrive de nous égarer dans des chemins de traverse qui, pour compliqués qu’ils soient, n’en constituent pas moins... (allez, au fait ma frigide d’isalope ! que je pensais ), comment dire... euh... Alors voilà, j’ai pensé à vous !
- Et pour faire quoi, madame Belami ?
- Oh, pardonnez-moi, je me trouble.
- Donc, votre amie !
- Oui, Guillemette, c’est son nom, avec un certain monsieur, elle... un monsieur très bien, au demeurant, mais... enfin... avec ce monsieur qui... enfin... je veux dire... voilà, ce n’est pas son mari !
- Ce sont des choses qui arrivent, mais...
- Oh, mon cher monsieur Monluc !
- Charles, Madame, Charles, s’il vous plaît !
- Écoutez, Charles, elle doit rompre, elle veut rompre, il faut absolument qu’elle rompe, sa santé en dépend, sa tranquillité morale, vous comprenez, non ?
- Et que puis-je faire ?
- Eh bien, elle ne sait pas trop comment s’y prendre, elle voudrait lui envoyer une lettre, une lettre de rupture, mais elle m’affirme que c’est un effort dont elle n’est pas capable. Elle m’a bien demandé mon aide, mais, vous savez, ce genre de choses... enfin... je ne crois pas être la personne la plus indiquée. Mais vous, Charles, vous qui...
- Oui !
- Alors voilà, j’ai pensé à vous, à votre discrétion et à votre talent, oui, votre talent, je sais, je dois vous paraître une personne un peu froide, lointaine, inabordable (t’as la mémoire courte mon isalope-céphalo-frigide ! que je me disais), rien de plus faux, je sais parfaitement évaluer les qualités, et les vôtres sont nombreuses...
- Vous me flattez !
- La pure vérité, directe, comme vous me l’avez très finement et justement rappelé, une vérité directe, comme quand on s’adresse à Dieu !

Elle était pas mal, la mère Belami, mais côté santé mentale, y restait du boulot ! Moi ? Dieu ? Bon, elle avait pas dit ça, pas exactement, mais quand même ! Et en fin de compte, c’était quoi toutes ces salades ? Si elle avait envie que je la saute, elle aurait pas pu le dire sans tout ce bordel de rhétorique merdique... Non, bien sûr, bien sûr que non ! María Asunción Belami est une femme mariée, une femme honnête, une femme fidèle, alors, pour s’envoyer en l’air, elle y met les formes et fait des détours ! Bien sûr ! Mon affaire marchait ! que je pensais avec certaines arrière-pensées.

- Vous pouvez compter sur moi.
- Oh, comment vous remercier !
- Ce n’est rien, juste un petit échange de bons procédés, rien de plus, je vous assure, vous...
- Comme elle va être contente, Guillemette !
- On fera tout pour, vous pouvez en être certaine !
- Comment vous remercier ?
- Rien ne presse.
- Je me permettrai de lui communiquer vos coordonnées téléphoniques, si vous n’y voyez pas d’inconvénient !
- Faites, Madame.
- Merci, merci, vraiment merci. Au revoir, cher monsieur Monluc.
- Charles, Madame, Charles !
- À bientôt... Charles.
- Mes hommages.

Une lettre de rupture, je vais lui en pondre une !, il est pas près de courir après sa Guillemette, l’animal ! Tout allait au poil, et pour María Asunción, fallait ramoner ? On ramonerait ! Bon... Bosser, dans des conditions pareilles, c’était pas une vie ! Et puis je commençais à me demander si je n’avais pas un petit problème avec le téléphone, je pouvais pas m’empêcher de décrocher, une force qui me poussait, c’était vraiment quelque chose qui me dépassait un peu. Mon ex-femme était comme ça, en pire ! Je me souviens très bien que le monde s’arrêtait autour d’elle dès que ce putain de machin balançait sa sonnerie ridicule. Qu’est-ce que ça pouvait me taper sur les nerfs ! Ça commençait le matin vers huit heures et demie et, jusqu’à dix ou onze heures du soir : dring dring. Elle avait acheté un sans-fil et elle se baladait dans la maison, dans le jardin, elle allait aux chiottes, partout, avec son rectangle en plastique. Quand on baisait, il était là, à côté, sur la table de nuit ! C’en était devenu LA présence. D’ac’, le boulot, les appels professionnels, des contrats à ne pas manquer, etc. Ça n’arrêtait pas ! Une maladie, que je me disais, une dinguerie de tous les instants et impossible d’envisager quoi que ce soit qui dure un peu, il était là, dring dring, et nous coupait la chique ! Comme quand on baise avec une pas trop fraîche qui vous repassait ses morpions, mon ex-femme m’avait refilé ce truc-là ! Peut-être bien que je croyais que quelque chose d’exceptionnel pouvait m’arriver, devait m’arriver, je sais pas très bien, qu’on me téléphone de TéléSuperPlus, par exemple, ou une connerie du même tonneau ! J’en étais là de ma désolation face à mon impuissance à ne pas envoyer balader de temps à autres le téléphone, lorsque j’ai remarqué deux papiers qui traînaient sur mon bureau, c’était des citations : Va, prends une femme se livrant à la prostitution et des enfants de prostitution, car le pays ne fait que se prostituer en se détournant de Yahvé (Os, 1-3) et Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même (Ez, 5, 28), Voici donc que l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair (Ez, 5, 31). C’était pas tout à fait les singeries du genre péché-rédemption dont m’avait parlé Belami, mais c’était pas mal non plus, une seule chair, tout un programme ! Moi, quand j’étais dans la petite chatte de cette isalope d’Hildegarde, il aurait fallu me payer cher pour que je sois persuadé qu’il n’y avait pas deux chairs ! La chair d’Hildegarde... Ses chairs... Putain de bordel de merde, son cul, oui, un sacré cul ! Ses chairs ? Ça fait flasque, usé, dégoulinant, non, ce qu’elle avait, Hildegarde, c’était un cul, un vrai cul, un putain de cul ! Ses chairs ? Non ! Son cul, un point c’est tout ! Et quel cul ! Je crois que si j’avais pensé aux chairs d’Hildegarde, j’aurais eu la queue en pénitence, tête baissée, et puis...

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